DU 16/11/2019 AU 28/11/2019 : Exposition "D'Ombres" à l'Hôtel de ville de Buzançais (36500-Indre-Centre Val de Loire) Dessins de Monique Wolters-Auburtin et céramiques de Marion Auburtin. Vernissage samedi 16 novembre à 17h30 - ouvertures : du lundi au vendredi de 14h30 à 17h30.

Rencontre autour de l'exposition "D'OMBRES" avec  Monique Wolters-Auburtin dimanche 24/11 à 16h .

4/10 -7/11 2018 : Exposition "Ils étaient..." galerie de la Médiathèque de Forbach(-57600 Moselle - Grand Est)

Rencontre avec Monique Auburtin le jeudi 4 octobre à 18h30 et rencontre avec Lilyane Beauquel romancière, auteur du texte autour des oeuvres de Monique Auburtin.

 

 

 " ILS ÉTAIENT... " Monique Wolters-Auburtin

" Je voulais laisser une trace, je ne sais pas écrire ..."

 

  En tant qu'amie et écrivain, quand j'ai découvert le travail de Monique,  face à la flagrante beauté du résultat, j'ai été saisie d'une intense jalousie pour la délicatesse et du geste et de l'intention  à entretenir la mémoire des siens.

Il y  avait là des vies et des personnes  qu'on pouvait embrasser du regard en un instant. Alors que moi il me fallait   un  temps  infini pour  écrire et reprendre, et  finir par  diluer de manière quasi invisible ce qui me préoccupe sur ce terrain là !

J'ai été  tout aussi violemment étreinte par le pathétique  de  l'attachement  de mon amie   à ceux qui avaient cessé de vivre,  et particulièrement  à son père qui  m'a  toujours paru peser si fort sur sa vie, entre rapport de force et fascination.

"Et voilà, me suis-je dit, il est mort et pourtant ça continue. M a besoin de cette entreprise pour exister, elle est une catastrophe, d'attachement et de  générosité ! "

Et je l'ai plainte ! 

J'avais tort.

Monique est une femme et une artiste riche d'humour et de rebonds.

 Elle n'est pas docile ou bien elle ne  l'est plus.  

Et j'ai pensé à Louise Bourgeois. A ses formules radicales pour décrire son approche du père et de sa vie familiale :

 "Si vous ne pouvez vous résoudre à abandonner le passé, alors vous devez le recréer. C'est ce que j'ai toujours fait. »

 

 Un jour,  M. a dit : "Ils  étaient là...", c'est le titre  de l'ensemble de ces tableaux.

8 tableaux, donc,  au motif central encadré des scènes intimes  d'une vie  de bourgeois ou d'artistes, désormais tous disparus. Les scènes  sont  exhumées des boîtes  de photographies semblables à celles que nous avons tous,  après les décès successifs de nos proches.  Et, pour nous, c'est  comme tourner les pages d'un roman de Colette ou,  avec Proust,  s'abandonner à la  Recherche du  temps perdu,  pour les instants passés de nos existences  réelles ou rêvées. Car,  comme toujours, tout est question d'espace et de temps,  pour tout affronter, tout reprendre : l'absence, les souvenirs douloureux, les bonheurs tranquilles.

 

Dans la douleur du deuil, face au  risque de l'oubli, M. avait  d'abord  installé  les clichés dans de beaux et vieux cahiers mais  le geste  était  insuffisant,  trop rapide peut être,  et sans grâce.  Car ces vies passées de ceux qu'elle a aimés étaient plus précieuses que la sienne,  elle voulait consacrer davantage de temps  et  d'art  à les ramener près d'elle, sous nos yeux, ici, dans l'exposition comme sur les murs de la modeste maison du Berry où ils ont été créés, où il semble que le temps familial était plus heureux et léger que dans la belle maison de maître du 1 rue du Parc à Forbach.

 Monique et son père, mais pas seulement, la mère, le frère,  les grands-parents. Les   morts  sont encore là, dans les miniatures délicates, posant ou saisis dans l'instant : ils racontent une histoire, dans l'ordre chronologique.

 Les grands parents de M.  :  la  femme aux marguerites, bourgeoise élégante et cultivée, le  beau monsieur en habit, ancien de 14 blessé à l'oeil, l'autre grand-mère,  la femme sous la treille,  gracieuse couturière en robe ceinturée de noir, veuve du  héros sauveteur de mineurs.  Les parents : la   maman  au sourire doux avec enfant sur les genoux,  le père  inscrit en détail  répété dans la maison familiale.  Et enfin le frère,  ironique jeune homme au blouson, mains dans les poches   se fichant   de l'effondrement symbolique de la cathédrale de Strasbourg derrière lui : "  Il détestait les curés ! "

 Nous regardons ces émigrés hollandais ou allemands   puis français comme  le   résumé  d'un pan de l'histoire de la Lorraine à sa  difficile frontière.

 Il y aussi ceux de la belle famille, la ballerine et le danseur-maître de Ballet. Du Grand Ballet du Marquis de Cuevas de Monte-Carlo et  de l'Opéra Garnier de Paris et de celui de  Metz. " Eux étaient gais, c'était pas comme chez moi".

Parfois des guirlandes ornent le tout, ou une  délicate baguette de cadre de bois dorée, ou un grillage fin, clairement fait pour retenir celui dont le retour serait craint, ou un entrelac de style art-nouveau,  augmenté d'une bannière avec une  citation en allemand : pour en dire un peu plus sur chaque personne-personnage.

 

 

Le travail  de M. sur le passé est une reprise en main, de main de maître !

A l'aquarelle sur papier "Héritage ",  c'est le nom du papier choisi  sous les conseils de Charles Kalt son ami de toujours, HW03, il ne peluche pas ! M. a entrepris cette oeuvre, debout   trois heures  le   matin  puis  à nouveau le soir, veillant à rendre  le caractère du sujet  dans le mode du portrait, illustré à ses bords de  vignettes  façon BD.

  L'on déjeune, joue du piano, pose  dans l'encadrement d'une porte ou devant une nouvelle voiture, on  lit, voyage, se marie, discute art avec les amis. Sont absentes  les  voix, les éclats   du grand-père jamais remis de la  douloureuse blessure de 14 au visage.

L'aquarelle a transposé  les photographies du grand-père et du  petit-fils,  vrais artistes photographes à ne pas en douter.

M. se rappelle,  en souriant, que le père lui disait que travailler d'après photo  ce n'était  pas de l'art. Sa technique est difficile, elle  nécessite la loupe pour scruter les détails et atteindre la précision, M. est penchée, debout devant la table,  et apparaît  autre chose qu'une réplique des photographies : un  transfuge. 

" Bien sûr, ajoute M.,  tu  te rappelles d'événements mais  quand tu dessines, tu es dans l'autre monde.  Je me mets à la place des personnages,  ainsi mon père, au piano :  j'imagine que c'est moi qui joue ou quatre personnes différentes de ma famille. "

" Pas de croquis préparatoire, ça gâche. L'aquarelle demande de la patience, il faut attendre pour superposer,  une vignette par jour ! Tu ne peux pas revenir en arrière, cela reste instantané,  dans  la fraîcheur du geste.  J'aime comment les taches s'installent, je fais avec elles, ça ne marcherait pas que je transforme. Parfois un peu d'acrylique parfois un peu de retravail au crayon. "

  "  J'aime bien quand c'est plat ! Il ne faut pas de sentiment" : comprendre : il y a   de la rigueur, la création  est dans  la retenue ".  

Mais  aussi : " J'ai échappé à toutes les injonctions et jugements, je commence en haut, je finis en bas, je ne calcule pas.! La représentation est entre le personnage et le dessin"."

 

 Revenons au père.

M. parle de  lui  comme Rimbaud de sa mère : "l'ombre noire" !

Et  comme pour Louise Bourgeois dans Destruction du père/reconstruction du père,  M.  a   décidé  pour lui d'un traitement particulier  : elle a choisi de ne pas le poser au centre du tableau,  lui qui occupait tant d'espace ! L'homme d'art  et professeur, en tout petit format,   est répété à tous les étages  de la maison  familiale, pour signifier à quel point il était omniprésent, autoritaire, parfois très humiliant.  Mais représenté "en petit ".

Enfin, "le  père,  dit M. facétieuse  et grave en même temps,   je l'ai mis derrière  la grille et un grillage car,  comme ça il ne  peut pas sortir. J'avais  aussi pensé à   un  triptyque  pour   refermer les pans et qu'il me laisse tranquille ".

On devine le chaos intérieur, on ne lui en demande pas plus.  

 Pour M. enfant,  les  dimanches matin, dans la maison familiale, tout comme le père avec la gouvernante anglaise de Louise Bourgeois , l'homme autoritaire impose sa volonté lui-aussi :  il  reçoit la maîtresse arrivée en  voiture  de sport verte, celle-ci  posait nue dans la bibliothèque, pour les croquis du père,  et Monique petite fille était là,  témoin muette qui  devait s'éclipser. Maman  était en bas, qui  préparait le repas.

Louise Bourgeois revisite la figure paternelle  dans   une cave recouverte de mamelles et de phallus   pour un festin cannibale.  Le père est  une créature  porteuse de  de deux paires de seins, elle lui a coupé la tête (Nature study). « Puisque j’ai été démolie par mon père, pourquoi est-ce que je ne le démolirais pas ? », s’interroge t-elle. M.  est  bouleversée de découvrir les mots de Louise.

 

Adolescente, M.  continue à dessiner dans  cette  bibliothèque  avec Picasso comme idole " je le trouvais si beau ". Le temps passe, "j'étais calée en histoire de l'art "," je voulais être artiste mais papa m'a  coupé les vivres, je suis devenue prof".

  Avec ce travail, aujourd'hui, M. a inventé la forme qui lui permet  de s'affranchir de la peine et des comptes mal réglés, des  dysfonctionnements dans les relations,    des espérances déçues et douleurs  tues   mais aussi  de la perte  des bonheurs  réels :  pour nous amener à   une représentation  universelle  du passé  de chacun,  dans des tableaux  résolument   proches de nos vies.

 Une  série touchante qui n'est sans doute qu'une étape dans la recherche de M. dont les  récents croquis inédits sont la promesse d'une  nouvelle aventure artistique. Toujours intime et autobiographique.

Et plus émancipée encore.

 

 

Lilyane Beauquel

Avant le silence des forêts 2011

En remontant vers le Nord 2014

L'apaisement 2016

L'année des nuages  2019

Romans

Gallimard Collection blanche

 

 

 

 

 

 

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© Monique Auburtin