Rencontre autour de l'exposition "D'OMBRES" avec Monique Wolters-Auburtin dimanche 24/11 à 16h .
" ILS ÉTAIENT... " Monique Wolters-Auburtin
" Je voulais laisser une trace, je ne sais pas écrire ..."
En tant qu'amie et écrivain, quand j'ai découvert le travail de Monique, face à la flagrante beauté du résultat, j'ai été saisie d'une intense jalousie pour la délicatesse et du geste et de l'intention à entretenir la mémoire des siens.
Il y avait là des vies et des personnes qu'on pouvait embrasser du regard en un instant. Alors que moi il me fallait un temps infini pour écrire et reprendre, et finir par diluer de manière quasi invisible ce qui me préoccupe sur ce terrain là !
J'ai été tout aussi violemment étreinte par le pathétique de l'attachement de mon amie à ceux qui avaient cessé de vivre, et particulièrement à son père qui m'a toujours paru peser si fort sur sa vie, entre rapport de force et fascination.
"Et voilà, me suis-je dit, il est mort et pourtant ça continue. M a besoin de cette entreprise pour exister, elle est une catastrophe, d'attachement et de générosité ! "
Et je l'ai plainte !
J'avais tort.
Monique est une femme et une artiste riche d'humour et de rebonds.
Elle n'est pas docile ou bien elle ne l'est plus.
Et j'ai pensé à Louise Bourgeois. A ses formules radicales pour décrire son approche du père et de sa vie familiale :
"Si vous ne pouvez vous résoudre à abandonner le passé, alors vous devez le recréer. C'est ce que j'ai toujours fait. »
Un jour, M. a dit : "Ils étaient là...", c'est le titre de l'ensemble de ces tableaux.
8 tableaux, donc, au motif central encadré des scènes intimes d'une vie de bourgeois ou d'artistes, désormais tous disparus. Les scènes sont exhumées des boîtes de photographies semblables à celles que nous avons tous, après les décès successifs de nos proches. Et, pour nous, c'est comme tourner les pages d'un roman de Colette ou, avec Proust, s'abandonner à la Recherche du temps perdu, pour les instants passés de nos existences réelles ou rêvées. Car, comme toujours, tout est question d'espace et de temps, pour tout affronter, tout reprendre : l'absence, les souvenirs douloureux, les bonheurs tranquilles.
Dans la douleur du deuil, face au risque de l'oubli, M. avait d'abord installé les clichés dans de beaux et vieux cahiers mais le geste était insuffisant, trop rapide peut être, et sans grâce. Car ces vies passées de ceux qu'elle a aimés étaient plus précieuses que la sienne, elle voulait consacrer davantage de temps et d'art à les ramener près d'elle, sous nos yeux, ici, dans l'exposition comme sur les murs de la modeste maison du Berry où ils ont été créés, où il semble que le temps familial était plus heureux et léger que dans la belle maison de maître du 1 rue du Parc à Forbach.
Monique et son père, mais pas seulement, la mère, le frère, les grands-parents. Les morts sont encore là, dans les miniatures délicates, posant ou saisis dans l'instant : ils racontent une histoire, dans l'ordre chronologique.
Les grands parents de M. : la femme aux marguerites, bourgeoise élégante et cultivée, le beau monsieur en habit, ancien de 14 blessé à l'oeil, l'autre grand-mère, la femme sous la treille, gracieuse couturière en robe ceinturée de noir, veuve du héros sauveteur de mineurs. Les parents : la maman au sourire doux avec enfant sur les genoux, le père inscrit en détail répété dans la maison familiale. Et enfin le frère, ironique jeune homme au blouson, mains dans les poches se fichant de l'effondrement symbolique de la cathédrale de Strasbourg derrière lui : " Il détestait les curés ! "
Nous regardons ces émigrés hollandais ou allemands puis français comme le résumé d'un pan de l'histoire de la Lorraine à sa difficile frontière.
Il y aussi ceux de la belle famille, la ballerine et le danseur-maître de Ballet. Du Grand Ballet du Marquis de Cuevas de Monte-Carlo et de l'Opéra Garnier de Paris et de celui de Metz. " Eux étaient gais, c'était pas comme chez moi".
Parfois des guirlandes ornent le tout, ou une délicate baguette de cadre de bois dorée, ou un grillage fin, clairement fait pour retenir celui dont le retour serait craint, ou un entrelac de style art-nouveau, augmenté d'une bannière avec une citation en allemand : pour en dire un peu plus sur chaque personne-personnage.
Le travail de M. sur le passé est une reprise en main, de main de maître !
A l'aquarelle sur papier "Héritage ", c'est le nom du papier choisi sous les conseils de Charles Kalt son ami de toujours, HW03, il ne peluche pas ! M. a entrepris cette oeuvre, debout trois heures le matin puis à nouveau le soir, veillant à rendre le caractère du sujet dans le mode du portrait, illustré à ses bords de vignettes façon BD.
L'on déjeune, joue du piano, pose dans l'encadrement d'une porte ou devant une nouvelle voiture, on lit, voyage, se marie, discute art avec les amis. Sont absentes les voix, les éclats du grand-père jamais remis de la douloureuse blessure de 14 au visage.
L'aquarelle a transposé les photographies du grand-père et du petit-fils, vrais artistes photographes à ne pas en douter.
M. se rappelle, en souriant, que le père lui disait que travailler d'après photo ce n'était pas de l'art. Sa technique est difficile, elle nécessite la loupe pour scruter les détails et atteindre la précision, M. est penchée, debout devant la table, et apparaît autre chose qu'une réplique des photographies : un transfuge.
" Bien sûr, ajoute M., tu te rappelles d'événements mais quand tu dessines, tu es dans l'autre monde. Je me mets à la place des personnages, ainsi mon père, au piano : j'imagine que c'est moi qui joue ou quatre personnes différentes de ma famille. "
" Pas de croquis préparatoire, ça gâche. L'aquarelle demande de la patience, il faut attendre pour superposer, une vignette par jour ! Tu ne peux pas revenir en arrière, cela reste instantané, dans la fraîcheur du geste. J'aime comment les taches s'installent, je fais avec elles, ça ne marcherait pas que je transforme. Parfois un peu d'acrylique parfois un peu de retravail au crayon. "
" J'aime bien quand c'est plat ! Il ne faut pas de sentiment" : comprendre : il y a de la rigueur, la création est dans la retenue ".
Mais aussi : " J'ai échappé à toutes les injonctions et jugements, je commence en haut, je finis en bas, je ne calcule pas.! La représentation est entre le personnage et le dessin"."
Revenons au père.
M. parle de lui comme Rimbaud de sa mère : "l'ombre noire" !
Et comme pour Louise Bourgeois dans Destruction du père/reconstruction du père, M. a décidé pour lui d'un traitement particulier : elle a choisi de ne pas le poser au centre du tableau, lui qui occupait tant d'espace ! L'homme d'art et professeur, en tout petit format, est répété à tous les étages de la maison familiale, pour signifier à quel point il était omniprésent, autoritaire, parfois très humiliant. Mais représenté "en petit ".
Enfin, "le père, dit M. facétieuse et grave en même temps, je l'ai mis derrière la grille et un grillage car, comme ça il ne peut pas sortir. J'avais aussi pensé à un triptyque pour refermer les pans et qu'il me laisse tranquille ".
On devine le chaos intérieur, on ne lui en demande pas plus.
Pour M. enfant, les dimanches matin, dans la maison familiale, tout comme le père avec la gouvernante anglaise de Louise Bourgeois , l'homme autoritaire impose sa volonté lui-aussi : il reçoit la maîtresse arrivée en voiture de sport verte, celle-ci posait nue dans la bibliothèque, pour les croquis du père, et Monique petite fille était là, témoin muette qui devait s'éclipser. Maman était en bas, qui préparait le repas.
Louise Bourgeois revisite la figure paternelle dans une cave recouverte de mamelles et de phallus pour un festin cannibale. Le père est une créature porteuse de de deux paires de seins, elle lui a coupé la tête (Nature study). « Puisque j’ai été démolie par mon père, pourquoi est-ce que je ne le démolirais pas ? », s’interroge t-elle. M. est bouleversée de découvrir les mots de Louise.
Adolescente, M. continue à dessiner dans cette bibliothèque avec Picasso comme idole " je le trouvais si beau ". Le temps passe, "j'étais calée en histoire de l'art "," je voulais être artiste mais papa m'a coupé les vivres, je suis devenue prof".
Avec ce travail, aujourd'hui, M. a inventé la forme qui lui permet de s'affranchir de la peine et des comptes mal réglés, des dysfonctionnements dans les relations, des espérances déçues et douleurs tues mais aussi de la perte des bonheurs réels : pour nous amener à une représentation universelle du passé de chacun, dans des tableaux résolument proches de nos vies.
Une série touchante qui n'est sans doute qu'une étape dans la recherche de M. dont les récents croquis inédits sont la promesse d'une nouvelle aventure artistique. Toujours intime et autobiographique.
Et plus émancipée encore.
Lilyane Beauquel
Avant le silence des forêts 2011
En remontant vers le Nord 2014
L'apaisement 2016
L'année des nuages 2019
Romans
Gallimard Collection blanche